J’ai suivi pendant deux ans l’association Rhizomatica, créée en 2009, dans le développement d’un projet ambitieux : la Téléphonie mobile communautaire. Nous avons arpenté les routes de l’État de Oaxaca à la rencontre des autorités de plusieurs villages isolés dans les différentes montagnes qui jalonnent cette partie du Mexique.
Si cette association a depuis sa création eu à cœur de faciliter l’accès aux technologies numériques pour tous, elle a rapidement fait deux constats. D’une part, 50 000 communautés indigènes n’ont pas accès au service de téléphonie mobile car pour les entreprises leaders du marché (Telcel, Movistar) il n’est pas viable d’investir dans les contrées les plus reculées du pays. La Loi fédérale de télécommunications mexicaine ne les oblige d’ailleurs pas à couvrir les villages de moins de 5 000 habitants. D’autre part, le fondateur de l’association, Peter Bloom, explique que : « Les téléphones portables sont devenus de petits ordinateurs dont les jeunes se servent pour écouter de la musique et regarder des vidéos qu’ils téléchargent sur internet quand ils vont en ville. Ce sont aussi des lampes de poche et des calculettes, et ils permettent d’écouter la radio. Les appareils étaient là et beaucoup de personnes les utilisaient, il n’y avait juste pas de réseau. »
En juin 2012, après six premiers mois de rencontres et de présentation du projet, trente-deux autorités de villages de moins de 5 000 habitants de la région de la Sierra Juárez signent une demande officielle d’accès à la téléphonie mobile auprès du ministère des Transports et de la Communication. Un an plus tard, en juin 2013, l’association Rhizomatica obtient un permis d’exploitation à titre expérimental pour deux ans. À l’aide de plusieurs réunions et ateliers, elle accompagne légalement les villages, mais les forme aussi techniquement à ce nouvel outil.
Sans connexion à internet, l’installation permet d’émettre et de recevoir des appels et des textos dans le périmètre restreint de la localité (entre 8 et 10 kilomètres à la ronde selon la puissance et la position de l’antenne), et ce sans aucun coût supplémentaire à celui de l’équipement de départ. Au-delà de la garantie de réseau téléphonique dans un seul village, cette même technologie, une fois connectée à internet, permet d’émettre des appels vers l’extérieur : la capitale d’État, Mexico, Los Angeles ou même Pékin. Le coût de ces appels est alors inférieur à un peso mexicain la minute, soit plus de vingt fois moins que le prix fixé par Telcel.
Cette technologie permet donc aux villages et à leurs habitants d’utiliser leurs téléphones mais surtout de réduire drastiquement les coûts des appels vers les membres de leurs familles qui ont migré à l'étranger. Elle leur garantit une autonomie en matière de technologie, et d’échapper ainsi aux contraintes du marché et à la logique de concurrence qu’elles induisent. Enfin, elle leur permet avant tout, une fois l’investissement initial amorti, de maintenir une économie circulaire et de réinvestir les bénéfices de la téléphonie au sein de leur village, pour le bien commun de tous.
Aujourd’hui rassemblés au sein de l’association Télécommunications indigènes communautaires (TIC A.C.), près d’une cinquantaine de villages ont opté pour cette solution, et le modèle s’est développé dans plus de cinq États du Mexique.
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